Cette note de blog est une présentation des Preset schaefferiens disponibles à cette adresse que j'ai créé selon la pensée de Pierre Schaeffer. Avec cette série de preset je propose une autre manière d’utiliser les macro-commandes sur Ableton.
Ce travail consiste à proposer aux utilisateurs un rapport plus « musical » à l'outil, c'est-à-dire de ne pas passer par les noms techniques qui peuvent n'avoir aucun sens pour l'utilisateur.
Actuellement, la dénomination des macro-commandes renseigne majoritairement sur la nature des paramètres qui sont pilotés. Voici un preset d’Ableton sélectionné au hasard
Vue du preset « Arcade Machine » disponible sur Ableton. Capture d’écran réalisée le 30 octobre 2022.
Sur ce preset, en lisant le titre des macro-commandes, on sait qu’il est possible de modifier une fréquence de coupure (Filter Cutoff), un filtre d’un oscillateur (OSC Filter), le mode d’un effet chorus (Chorus Mode), le nombre de bit d’un réducteur de précision numérique (bit crush), l’attaque de l’instrument (Attack), le pourcentage de synthèse modulaire en anneau (Ring Mod), le niveau du sous-oscillateur (Sub Level) et le volume général (Volume). Seuls l’attaque, et le volume désignent un effet, les six autres commandes nomment un outil. Ainsi, seuls les effets de deux paramètres sont prévisibles (Attack et Volume), le résultat des six autres est compris seulement après les manipulations des macro-commandes.
Ainsi, en général, les dénominations renseignent sur la cause du changement du son mais pas sur l’effet que permet ces commandes.
Dans cette note de blog je présente une autre approche de la dénomination des macro-commandes. Ma proposition est que les noms des macro-commandes désignent les effets sonores adéquats et non les outils utilisés. Cela permet à l’utilisateur de comprendre directement l’utilité de la macro-commande, de sélectionner les boutons dont il a besoin, de gagner en efficacité dans le flux de la composition, et de ne pas passer par des mots techniques qui peuvent lui être inconnus.
Une meilleure caractérisation de l’effet sonore permet également d’enrichir la créativité du concepteur du synthétiseur. En effet, actuellement les possibilités peuvent être limitées à la modification de la réverbération, des fréquences du filtres, des échos, de l’attaque, etc. Une désignation plus large et plus globale permet d’avoir un résultat sonore plus riche, cela pousse l’esprit à utiliser plusieurs outils disponibles de différentes manières.
Pour ce travail, j’ai utilisé les travaux de Pierre Schaeffer. Ce fut un théoricien du son de la deuxième moitié du XXe siècle qui a fondé le Groupe de Recherches Musicales (GRM) dans les années 1950. Ses recherches ont, en partie, permis de mettre en place différents critères de perception musicale. Les termes qu’il a déterminés permettent de pouvoir caractériser un son dans son entièreté (au niveau de la qualité de sa texture, sur sa longueur, sur son allure, etc.).
Son ouvrage principal a été son Traité des Objets Musicaux[1] dans lequel est présent un tableau récapitulatif du Solfège des Objets Musicaux[2] contenant tous les critères de perception. Ils sont au nombre de sept : la masse, la dynamique, le timbre harmonique, le profil mélodique, le profil de masse, le grain et l’allure.
Les preset schaefferiens ont donc été constitués à partir de ces critères de perception musicale. Pour ce premier travail, je me suis limité à quatre critères afin d’être plus efficace. Ce seront la masse, la dynamique, l’allure et le grain.
Notons qu’un synthétiseur proposant tous les critères de perception permettrait à l’utilisateur, en théorie, d’agir sur toutes les faces possibles du son.
Pour définir les critères sélectionnés, j’ai utilisé le Guide des objets sonores[3] de Michel Chion. Cet ouvrage est un livre publié quelques années après la parution du Traité des Objets Musicaux comme un « Guide de lecture » du traité de Pierre Schaeffer. Il permet notamment d’avoir les définitions des principaux termes proposés par Pierre Schaeffer et de mieux comprendre sa pensée.
Voici donc la définition de ces quatre critères d’après Michel Chion :
« la masse d’un objet sonore, c’est sa façon d’occuper le champ des hauteurs.[4] »
« le grain est une microstructure de la matière du son qui est plus ou moins fine ou grosse, et qui évoque, par analogie, le grain sensible au toucher d’un tissu ou d’un minéral, ou le grain visible d’une photographie ou d’une surface. La perception de grain se retrouve en effet dans les trois domaines sensoriels de la vue, du toucher et de l’ouïe, où elle répond à la même définition : elle correspond chaque fois à la perception globale qualitative d’un grand nombre de petites irrégularités de détails affectant la “surface” de l’objet.[5] »
« La dynamique désigne le profil d’intensité caractéristique du son, que cette intensité soit fixe (sons homogènes) ou variable. […] Par définition, c’est un critère qui n’existe que dans le temps ; il est donc un des critères les plus importants relatifs à la forme du son.[6] »
« On appelle allure cette oscillation, cette fluctuation caractéristique dans l’entretien de certains objets sonores, dont le vibrato instrumental ou vocal est un exemple. En d’autres termes, l’allure peut être définie comme “toute espèce de vibrato généralisé”. Le critère d’allure peut s’analyser comme la perception globale de légères oscillations plus ou moins cycliques de l’ensemble des caractères du son […] et principalement de sa hauteur (ou masse) et de sa dynamique ; mais il demeure un critère à part entière.[7] »
Ces critères de perception ne désignent pas les outils, mais seulement ce qui s’entend. Ainsi, pour constituer chacun des preset schaefferiens, j’ai pu utiliser de nombreux outils différents pour un même critère de perception. Par exemple, la dynamique peut être modifiée avec l’attaque ou bien la chute de l’enveloppe d’un oscillateur, ou encore en modifiant la réverbération du son, ou encore en ajoutant un « delay »… Chaque preset propose une version plus ou moins variée du critère de perception.
Je vais maintenant passer à la description de chacun des preset proposés.
Première note : chaque macro-commande affiche les valeurs génériques de 0 à 127. Cela permet de ne pas influencer l’utilisateur dans l’outil utilisé (si ce sont des pourcentages ou bien des fréquences qui apparaissent). L’utilisateur ne fera donc confiance qu’à son oreille et se concentrera à entendre la modification de la masse plutôt que, par exemple, l’effet du filtre qui monte en fréquence.
GD – PS #1
Pour ce premier preset, j’en ai pris un présent sur le logiciel (Atom lead) afin de proposer des macro-commandes sur un outil qui n’est pas de ma création. De plus, j’ai sélectionné l’instrument Operator étant donné qu’il est facile d’accès.
Le critère de Masse est associé à la « façon d’occuper le champ des hauteurs ». Ainsi, la macro-commande associée pilote les fréquences des différents oscillateurs (A, B et D).
Le critère de Dynamique est associé à l’attaque et à la chute des trois oscillateurs (A, B et C) afin de modifier le profil d’intensité de l’instrument.
Le critère de Grain désigne la modulante (oscillateur C). Cela permet à ce que l’oscillateur D, vibre plus ou moins intensément. Cela rajoute du grain à la texture sonore.
Le critère d’Allure désigne l’intensité du LFO qui module la fréquence des oscillateurs A, B et C. Il entraîne un vibrato.
Remarque suite à ce preset :
Avec cette proposition, les critères de base ont été assignés à ce qui peut leur être logiquement associés à savoir la masse aux fréquences des oscillateurs, la dynamique à l’enveloppe de l’amplification, le grain à une modulation FM et l’allure à un LFO qui agit sur les fréquences.
GD – PS #2
Ce synthétiseur est constitué de l’instrument Poli et de différents effets audios.
La Masse pilote un changement de fréquence, la Dynamique désigne un changement dans l’attaque et la chute, l’Allure désigne un vibrato fréquentiel.
Le Grain pilote l’intensité du taux du pulse, il s’agit d’une onde carrée. L’addition du sinus avec le carré donne plus de grains au son.
Remarque suite à ce preset :
Le grain a été ajouté à partir d’une onde granuleuse. Cela n’entraîne pas forcément un changement de masse, mais amplifie les « irrégularités de détails affectant la “surface” de l’objet ».
GD – PS #3
Ce synthétiseur est constitué de l’instrument Wavetable et de différents effets audios.
La Masse pilote la modification de la coupure du filtre passe-bas ainsi que l’impact de l’effet Spectral Blur. L’ajout d’une modification par de la réverbération change considérablement « le champ des hauteurs » occupé.
La Dynamique modifie l’enveloppe de l’amplification.
Le Grain pilote l’effet audio Redux qui dégrade le signal et donc ajoute du « grain ». De plus, la macro-commande amplifie l’impact du Re-Enveloper. Ce dernier ajoute du gain aux fréquences comprises entre 1,98 kHz et 6,70 kHz. Cette tranche fréquentielle est propice aux haut-médiums qui contiennent une matière granuleuse.
L’Allure ajoute un vibrato grâce à l’impact du Flanger.
Remarque suite à ce preset :
Le changement dans la masse du son du synthétiseur provient en partie d’un effet de réverbération qui change de manière conséquente les hauteurs du son. Ainsi, la réverbération peut être utilisée pour un changement dans la couleur plutôt que dans une mise en espace du son.
Le grain peut être ajouté en concentrant les fréquences dans une certaine partie du champ disponible. Un changement au niveau des hauteurs n’entraîne pas forcément un changement de masse.
GD – PS #4
Ce synthétiseur est constitué de l’Operator et de différents effets audios.
La Masse pilote la modification de la coupure du filtre passe-bas ainsi que l’impact de l’effet Erosion. Ce dernier n’ajoute pas spécialement de grain à la texture sonore mais une texture qui sonne plus « métallique » dans les aiguës.
La Dynamique modifie l’enveloppe de l’amplification.
Le Grain joue sur l’effet Redux comme pour le GD – PS #3, la texture granuleuse est enrichie par l’effet Chorus-Ensemble.
L’Allure modifie la fréquence de la modulante, ce qui entraîne une vibration.
GD – PS #5
Ce synthétiseur est constitué de l’Operator et de différents effets audios.
La Masse agit sur l’effet du Spectral Blur qui, comme pour le GD – PS #3, modifie le champ des hauteurs par la réverbération de la substance sonore originale. Le Spectral Blur applique une réverbération plus ou moins forte de manière aléatoire. En effet, l’Expression control, qui se situe en début de chaîne, modifie aléatoirement le paramètre Halo à chaque touche enclenchée.
La Dynamique pilote l’effet Spectral Time, qui ajoute du Delay selon l’intensité de la macro-commande. L’effet Spectral Time a son comportement modifié par l’Expression control. Tout comme pour le Halo du Spectral Blur, le Freeze du Spectral Time s’active de manière aléatoire à chaque appuie d’une touche. Ainsi, si des notes s’enchaînent en legato, certaines seront « gelées » par la commande Freeze du Spectral Time.
Le Grain pilote l’intensité du Phaser et du Grain Delay. Le Spray de ce dernier (paramètre permettant de générer des temps de retard) est modifié de manière aléatoire par un LFO qui lui est appliqué. Ainsi, le grain évolue de manière organique et n’est pas conditionné par des valeurs identiques.
L’Allure pilote le comportement du Phaser, ce qui entraîne un vibrato important. Cette macro-commande modifie la fréquence de génération de délais sonores aléatoires créés par le Vector Delay.
Remarque suite à ce preset :
La dynamique peut être modifiée par la traîne qui suit l’impact du son. La forme sonore est ainsi allongée.
GD – PS #6
Ce synthétiseur est constitué du Wavetable et de différents effets audios.
La Masse permet au gain du sous-oscillateur (sub) d’être plus ou moins amplifié. Cette macro-commande permet de rajouter de la présence dans les mediums.
La Dynamique modifie l’intensité de Delay appliqué à la substance sonore.
Le Grain modifie l’intensité de l’effet d’oscillateur warp ce qui permet d’avoir une texture granuleuse variée. Comme pour deux preset précédents l’Expression Control ajoute de l’aléatoire dans le grain en modifiant aléatoirement l’effet Fold.
L’Allure modifie la fréquence du LFO. Ce dernier modifie plus ou moins rapidement la position dans la table d’onde. L’Allure permet un vibrato de « couleur d’onde ». Cette macro-commande pilote également la rapidité du Delay, dans les valeurs hautes, l’allure s’approche de l’effet du Grain étant donné que le vibrato devient trop important. Il serait intéressant de pouvoir passer dans Ableton d’une macro-commande à une autre selon l’intensité, lorsque le paramètre rentre dans un autre type de catégorie.
GD – PS #7
Ce synthétiseur est constitué de deux Operator et de différents effets audios.
La Masse agit sur l’intensité de l’Expression Control. Ce dernier modifie aléatoirement, à chaque touche appuyée, les volumes des fréquences basses, medium et aiguës de l’effet Re-Enveloper. Ces alternances successives entraînent une modification dans le champ des hauteurs. Ce type de changement de la masse est expérimental, ce n’est pas certain qu’il fonctionne musicalement.
La Dynamique modifie l’attaque de l’enveloppe d’amplification et le temps de réverbération.
Le Grain contrôle le volume du deuxième Operator programmé pour générer du grain.
L’Allure pilote l’intensité du LFO qui agit sur l’Operator principal.
GD – PS #8
Ce synthétiseur est constitué du Wavetable et de différents effets audios.
La Masse est reliée au volume du sous-oscillateur (sub) ce qui permet d’ajouter de la matière sonore. Elle est également affectée à un modificateur local de la couleur à l’aide d’un passe bande qui agit sur une zone fréquentielle selon la position du curseur. Cela permet d’enrichir la variation dans le « champ des hauteurs ».
La Dynamique est associée au Vector Delay. Cela permet d’allonger la chute du son à l’aide de répétitions.
Le Grain permet de passer du granuleux au lisse. Cela est permis par la présence d’un oscillateur qui génère un son blanc pour l'aspect granuleux. Le lisse est atteint grâce à l’effet Spectral Blur qui adoucit la substance sonore en la réverbérant.
L’Allure est associée à l’effet Gated Delay. Elle fonctionne que lorsque le bouton lecture est enclenché. Le « delay » de cet effet sonore ajoute des variations dans la texture sonore entraînant un vibrato. Ableton ne permet pas encore de limiter l'échelle d'utilisation. Cette macro-commande agit réellement entre les valeurs 30-85.
Dans ce preset, le LFO enrichit la matière sonore en alternant le temps de gel par l’effet Spectral Time.
GD – PS #9
Ce synthétiseur est constitué du Wavetable et de différents effets audios.
La Masse modifie la forme d’onde utilisée par le synthétiseur.
La Dynamique entraîne une réverbération du son ainsi qu’un écho.
Le Grain modifie la texture sonore du deuxième oscillateur plus bruiteux du Wavetable.
L’Allure pilote la fréquence du LFO qui agit sur la fréquence du filtre passe-bas et entraîne une vibration amplifiée par l’action sur le Chorus-Ensemble.
GD – PS #10
Ce synthétiseur est constitué du Poli et de différents effets audios.
La Masse pilote deux intensités de modulation (la modulation en croix et en anneau), ce qui modifie le « champ des hauteurs ».
La Dynamique entraîne une amplification de la durée de l’écho présent sur l’effet audio Echo.
Le Grain ajoute du « bruit » grâce au générateur de bruit présent dans Poli. Il augmente également l’impact du LFO qui agit sur le filtre passe-bas.
L’Allure permet à l’effet audio Shifter d’être plus ou moins important.
Résumé des outils utilisés pour chaque critère de perception musicale
Masse : ajout de nouvelles ondes, changements de fréquences, modification de la fréquence de coupure (filtre passe-bas, passe-bande), réverbération de la substance sonore, utilisation d’outil modificateur (Erosion), amplification de certains champs de fréquences (Re-Envelopper), utilisation d’autres synthèses (en croix, en anneau).
Dynamique : modification de l’enveloppe de l’amplification, ajout de réverbération, ajout de délais dans le son.
Grain : utilisation de la modulation FM dans les basses fréquences pour provoquer des vibrations, ajout d’ondes bruiteuses (Pulse du Poli, son blanc), dégradation du signal (Redux), amplification de champs fréquentiels bruiteux (Re-Envelopper), utilisation du Chorus, utilisation du Phaser, utilisation de délais, utilisation de déformation d’onde (Wavetable), utilisation de la réverbération, ajout d’un synthétiseur granuleux, utilisation du LFO sur un filtre dans les fréquences rapides.
Allure : utilisation du LFO sur un filtre, utilisation du Flanger, utilisation de la modulation FM, utilisation du Phaser, ajouts de délais, utilisation du chorus, vibrato sur les hauteurs (Shifter).
En conclusion, la dynamique est le critère de perception le moins varié au niveau des outils utilisés. Le grain et l’allure possèdent des outils identiques. Cette ressemblance entraîne une confusion qui peut intervenir lorsque la vitesse du vibrato provoquée par l’allure devient trop rapide et commence à provoquer une matière granuleuse. Le changement dans la masse est facilement atteint par de nombreux outils qui peuvent modifier le champ des hauteurs.
Améliorations possibles d’Ableton :
Il n’est pas possible de pouvoir trouver les paramètres assignés depuis les outils intégrés tels que le LFO ou bien l’expression control. Certains paramètres ne peuvent pas avoir de limites tel que l’Emitter rate du Vector Delay.
Avec le preset « GD – PS#1 », pour la Masse, je n’ai pas pu désigner le pourcentage de la macro-commande pour le paramètre piloté. Il faudrait que cela soit possible de déterminer le taux de pourcentage de la macro-commande entre les différentes valeurs possibles. En effet, ici, le grain s’entend véritablement lorsque le multiplicateur de l’oscillateur C est à 0,1 et disparaît lorsque la valeur est à 0,01. Il faudrait que le 0,1 soit présent à 80% de la plage disponible plutôt que 33% lorsque le choix est entre 0,001, 0,01 et 0,1. Le problème intervient dans ce cas car la Masse est pilote également d’autre paramètres.
Il faudrait que cela soit possible d’assigner un paramètre à plusieurs macro-commandes.
Il faudrait pouvoir écouter en solo chaque petite boîte pour voir où en est le son à ce moment-là dans les chaînes des effets audios.
[1] SCHAEFFER Pierre, Traité des Objets Musicaux, Paris, Seuil, 1966, (réed. 1977). [2] Ibid., p. 584-587. [3] CHION Michel, Guide des Objets Sonores, Paris, Ina-GRM/BuchetChastel, « Bibliothèque de Recherche Musicale », 1983. [4] Ibid., p. 145. [5] Ibid., p. 152. [6] Ibid., p. 154. [7] Ibid., p. 158-159.
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